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L’ASSOMMOIR.

M. Madinier se taisait pour ménager un effet. Il alla droit à la Kermesse de Rubens. Là, il ne dit toujours rien, il se contenta d’indiquer la toile, d’un coup d’œil égrillard. Les dames, quand elles eurent le nez sur la peinture, poussèrent de petits cris ; puis, elles se détournèrent, très-rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les détails orduriers.

— Voyez donc ! répétait Boche, ça vaut l’argent. En voilà un qui dégobille. Et celui-là, il arrose les pissenlits. Et celui-là, oh ! celui-là… Ah bien ! ils sont propres, ici !

— Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succès. Il n’y a plus rien à voir de ce côté.

La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau le salon carré et la galerie d’Apollon. Madame Lerat et mademoiselle Remanjou se plaignaient, déclarant que les jambes leur rentraient dans le corps. Mais le cartonnier voulait montrer à Lorilleux les bijoux anciens. Ça se trouvait à côté, au fond d’une petite pièce, où il serait allé les yeux fermés. Pourtant, il se trompa, égara la noce le long de sept ou huit salles, désertes, froides, garnies seulement de vitrines sévères où s’alignaient une quantité innombrable de pots cassés et de bonshommes très-laids. La noce frissonnait, s’ennuyait ferme. Puis, comme elle cherchait une porte, elle tomba dans les dessins. Ce fut une nouvelle course immense ; les dessins n’en finissaient pas, les salons succédaient aux salons, sans rien de drôle, avec des feuilles de papier gribouillées, sous des vitres, contre les murs. M. Madinier, perdant la tête, ne voulant point avouer qu’il était perdu, enfila un escalier, fit monter un étage à la noce. Cette fois, elle voyageait au milieu du musée de la marine, parmi des modèles d’instruments et de canons, des plans en