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LES ROUGON-MACQUART.

— Regardez-la ! S’il est permis !… Oh ! la banban !

Et ce mot : la Banban, courut dans la société. Lorilleux ricanait, disait qu’il fallait l’appeler comme ça. Mais madame Fauconnier prenait la défense de Gervaise : on avait tort de se moquer d’elle, elle était propre comme un sou et abattait fièrement l’ouvrage, quand il le fallait. Madame Lerat, toujours pleine d’allusions polissonnes, appelait la jambe de la petite « une quille d’amour » ; et elle ajoutait que beaucoup d’hommes aimaient ça, sans vouloir s’expliquer davantage.

La noce, débouchant de la rue Saint-Denis, traversa le boulevard. Elle attendit un moment, devant le flot des voitures ; puis, elle se risqua sur la chaussée, changée par l’orage en une mare de boue coulante. L’ondée reprenait, la noce venait d’ouvrir les parapluies ; et, sous les riflards lamentables, balancés à la main des hommes, les femmes se retroussaient, le défilé s’espaçait dans la crotte, tenant d’un trottoir à l’autre. Alors, deux voyous crièrent à la chienlit ; des promeneurs accoururent ; des boutiquiers, l’air amusé, se haussèrent derrière leurs vitrines. Au milieu du grouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés du boulevard, les couples en procession mettaient des taches violentes, la robe gros bleu de Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimées de madame Fauconnier, le pantalon jaune-canari de Boche ; une raideur de gens endimanchés donnait des drôleries de carnaval à la redingote luisante de Coupeau et à l’habit carré de M. Madinier ; tandis que la belle toilette de madame Lorilleux, les effilés de madame Lerat, les jupes fripées de mademoiselle Remanjou, mêlaient les modes, traînaient à la file les décrochez-moi ça du luxe des pauvres. Mais c’étaient surtout les chapeaux