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L’ASSOMMOIR.

— C’est donc sérieux ? murmura-t-il. Ce sacré Cadet-Cassis, on ne sait jamais s’il veut rire.

— Ah ! oui, madame est la personne, dit à son tour la femme en dévisageant Gervaise. Mon Dieu ! nous n’avons pas de conseil à vous donner, nous autres… C’est une drôle d’idée de se marier tout de même. Enfin, si ça vous va à l’un et à l’autre. Quand ça ne réussit pas, on s’en prend à soi, voilà tout. Et ça ne réussit pas souvent, pas souvent, pas souvent…

La voix ralentie sur ces derniers mots, elle hochait la tête, passant de la figure de la jeune femme à ses mains, à ses pieds, comme si elle avait voulu la déshabiller, pour lui voir les grains de la peau. Elle dut la trouver mieux qu’elle ne comptait.

— Mon frère est bien libre, continua-t-elle d’un ton plus pincé. Sans doute, la famille aurait peut-être désiré… On fait toujours des projets. Mais les choses tournent si drôlement… Moi, d’abord, je ne veux pas me disputer. Il nous aurait amené la dernière des dernières, je lui aurais dit : Épouse-la et fiche-moi la paix… Il n’était pourtant pas mal ici, avec nous. Il est assez gras, on voit bien qu’il ne jeûnait guère. Et toujours sa soupe chaude, juste à la minute… Dis donc, Lorilleux, tu ne trouves pas que madame ressemble à Thérèse, tu sais bien, cette femme d’en face qui est morte de la poitrine ?

— Oui, il y a un faux air, répondit le chaîniste.

— Et vous avez deux enfants, madame. Ah ! ça, par exemple, je l’ai dit à mon frère : Je ne comprends pas comment tu épouses une femme qui a deux enfants… Il ne faut pas vous fâcher, si je prends ses intérêts ; c’est bien naturel… Vous n’avez pas l’air fort, avec ça… N’est-ce pas, Lorilleux, madame n’a pas l’air fort ?

— Non, non, elle n’est pas forte.