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LES ROUGON-MACQUART.


— Je crois bien ! il y en a sur les murs, il y en a par terre, il y en a partout.

Cependant, ils s’étaient engagés sous la porte ronde et avaient traversé la cour. Les Lorilleux demeuraient au sixième, escalier B. Coupeau lui cria en riant d’empoigner ferme la rampe et de ne plus la lâcher. Elle leva les yeux, cligna les paupières, en apercevant la haute tour creuse de la cage de l’escalier, éclairée par trois becs de gaz, de deux étages en deux étages ; le dernier, tout en haut, avait l’air d’une étoile tremblotante dans un ciel noir, tandis que les deux autres jetaient de longues clartés, étrangement découpées, le long de la spirale interminable des marches.

— Hein ? dit le zingueur en arrivant au palier du premier étage, ça sent joliment la soupe à l’ognon. On a mangé de la soupe à l’ognon pour sûr.

En effet, l’escalier B, gris, sale, la rampe et les marches graisseuses, les murs éraflés montrant le plâtre, était encore plein d’une violente odeur de cuisine. Sur chaque palier, des couloirs s’enfonçaient, sonores de vacarme, des portes s’ouvraient, peintes en jaune, noircies à la serrure par la crasse des mains ; et, au ras de la fenêtre, le plomb soufflait une humidité fétide, dont la puanteur se mêlait à l’âcreté de l’ognon cuit. On entendait, du rez-de-chaussée au sixième, des bruits de vaisselle, des poêlons qu’on barbotait, des casseroles qu’on grattait avec des cuillers pour les récurer. Au premier étage, Gervaise aperçut, dans l’entrebâillement d’une porte, sur laquelle le mot : Dessinateur, était écrit en grosses lettres, deux hommes attablés devant une toile cirée desservie, causant furieusement, au milieu de la fumée de leurs pipes. Le second étage et le troisième, plus tranquilles,