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LES ROUGON-MACQUART.

— Dites donc, madame Lantier, vous êtes bien matinale !

Gervaise se pencha.

— Tiens ! c’est vous, madame Boche ! … Oh ! j’ai un tas de besogne, aujourd’hui !

— Oui, n’est-ce pas ? les choses ne se font pas toutes seules.

Et une conversation s’engagea, de la fenêtre au trottoir. Madame Boche était concierge de la maison dont le restaurant du Veau à deux têtes occupait le rez-de-chaussée. Plusieurs fois, Gervaise avait attendu Lantier dans sa loge, pour ne pas s’attabler seule avec tous les hommes qui mangeaient, à côté. La concierge raconta qu’elle allait à deux pas, rue de la Charbonnière, pour trouver au lit un employé, dont son mari ne pouvait pas tirer le raccommodage d’une redingote. Ensuite, elle parla d’un de ses locataires qui était rentré avec une femme, la veille, et qui avait empêché le monde de dormir, jusqu’à trois heures du matin. Mais, tout en bavardant, elle dévisageait la jeune femme, d’un air de curiosité aiguë ; et elle semblait n’être venue là, se poser sous la fenêtre, que pour savoir.

— Monsieur Lantier est donc encore couché ? demanda-t-elle brusquement.

— Oui, il dort, répondit Gervaise, qui ne put s’empêcher de rougir.

Madame Boche vit les larmes lui remonter aux yeux ; et, satisfaite sans doute, elle s’éloignait en traitant les hommes de sacrés fainéants, lorsqu’elle revint, pour crier :

— C’est ce matin que vous allez au lavoir, n’est-ce pas ? … J’ai quelque chose à laver, je vous garderai une place à côté de moi, et nous causerons.