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LES ROUGON-MACQUART.

suant, s’échinant, battant la même mesure. Alors, elle se sauva. Mais elle eut beau dégringoler l’escalier, elle entendit jusqu’en bas le sacré chahut de son homme. Ah ! mon Dieu ! qu’il faisait bon dehors, on respirait !

Le soir, toute la maison de la Goutte-d’Or causait de l’étrange maladie du père Coupeau. Les Boche, qui traitaient la Banban par-dessous la jambe maintenant, lui offrirent pourtant un cassis dans leur loge, histoire d’avoir des détails. Madame Lorilleux arriva, madame Poisson aussi. Ce furent des commentaires interminables. Boche avait connu un menuisier qui s’était mis tout nu dans la rue Saint-Martin, et qui était mort en dansant la polka ; celui-là buvait de l’absinthe. Ces dames se tortillèrent de rire, parce que ça leur semblait drôle tout de même, quoique triste. Puis, comme on ne comprenait pas bien, Gervaise repoussa le monde, cria pour avoir de la place ; et, au milieu de la loge, tandis que les autres regardaient, elle fit Coupeau, braillant, sautant, se démanchant avec des grimaces abominables. Oui, parole d’honneur ! c’était tout à fait ça ! Alors, les autres s’épatèrent : pas possible ! un homme n’aurait pas duré trois heures à un commerce pareil. Eh bien ! elle le jurait sur ce qu’elle avait de plus sacré, Coupeau durait depuis la veille, trente-six heures déjà. On pouvait aller y voir, d’ailleurs, si on ne la croyait pas. Mais madame Lorilleux déclara que, merci bien ! elle était revenue de Sainte-Anne ; elle empêcherait même Lorilleux d’y ficher les pieds. Quant à Virginie, dont la boutique tournait de plus mal en plus mal, et qui avait une figure d’enterrement, elle se contenta de murmurer que la vie n’était pas toujours gaie, ah ! sacredié, non ! On acheva le cassis, Gervaise souhaita le bonsoir à la compagnie. Lorsqu’elle ne parlait plus, elle prenait