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LES ROUGON-MACQUART.

ce qui redoublait son mauvais rire, c’était de se rappeler son bel espoir de se retirer à la campagne, après vingt ans de repassage. Eh bien ! elle y allait, à la campagne. Elle voulait son coin de verdure au Père-Lachaise.

Lorsqu’elle s’engagea dans le corridor, elle était comme folle. Sa pauvre tête tournait. Au fond, sa grosse douleur venait d’avoir dit un adieu éternel au forgeron. C’était fini entre eux, ils ne se reverraient jamais. Puis, là-dessus, toutes les autres idées de malheur arrivaient et achevaient de lui casser le crâne. En passant, elle allongea le nez chez les Bijard, elle aperçut Lalie morte, l’air content d’être allongée, en train de se dorloter pour toujours. Ah bien ! les enfants avaient plus de chance que les grandes personnes ! Et, comme la porte du père Bazouge laissait passer une raie de lumière, elle entra droit chez lui, prise d’une rage de s’en aller par le même voyage que la petite.

Ce vieux rigolo de père Bazouge était revenu, cette nuit-là, dans un état de gaieté extraordinaire. Il avait pris une telle culotte, qu’il ronflait par terre, malgré la température ; et ça ne l’empêchait pas de faire sans doute un joli rêve, car il semblait rire du ventre, en dormant. La camoufle, restée allumée, éclairait sa défroque, son chapeau noir aplati dans un coin, son manteau noir qu’il avait tiré sur ses genoux, comme un bout de couverture.

Gervaise, en l’apercevant, venait tout d’un coup de se lamenter si fort, qu’il se réveilla.

— Nom de Dieu ! fermez donc la porte ! Ça fiche un froid !… Hein ! c’est vous !… Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce que vous voulez ?

Alors, Gervaise, les bras tendus, ne sachant plus ce