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L’ASSOMMOIR.

grise, des mèches grises que le vent avait envolées. Le cou engoncé dans les épaules, elle se tassait, laide et grosse à donner envie de pleurer. Et il se rappelait leurs amours, lorsqu’elle était toute rose, tapant ses fers, montrant le pli de bébé qui lui mettait un si joli collier au cou. Il allait, dans ce temps, la reluquer pendant des heures, satisfait de la voir. Plus tard, elle était venue à la forge, et là ils avaient goûté de grosses jouissances, tandis qu’il frappait sur son fer et qu’elle restait dans la danse de son marteau. Alors, que de fois il avait mordu son oreiller, la nuit, en souhaitant de la tenir ainsi dans sa chambre ! Oh ! il l’aurait cassée, s’il l’avait prise, tant il la désirait ! Et elle était à lui, à cette heure, il pouvait la prendre. Elle achevait son pain, elle torchait ses larmes au fond du poêlon, ses grosses larmes silencieuses qui tombaient toujours dans son manger.

Gervaise se leva. Elle avait fini. Elle demeura un instant la tête basse, gênée, ne sachant pas s’il voulait d’elle. Puis, croyant voir une flamme s’allumer dans ses yeux, elle porta la main à sa camisole, elle ôta le premier bouton. Mais Goujet s’était mis à genoux, il lui prenait les mains, en disant doucement :

— Je vous aime, madame Gervaise, oh ! je vous aime encore et malgré tout, je vous le jure !

— Ne dites pas cela, monsieur Goujet ! s’écria-t-elle, affolée de le voir ainsi à ses pieds. Non, ne dites pas cela, vous me faites trop de peine !

Et comme il répétait qu’il ne pouvait pas avoir deux sentiments dans sa vie, elle se désespéra davantage.

— Non, non, je ne veux plus, j’ai trop de honte… pour l’amour de Dieu ! relevez-vous. C’est ma place, d’être par terre.