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L’ASSOMMOIR.

au mois d’octobre, d’un rhumatisme aigu. Goujet habitait toujours la petite maison de la rue Neuve, sombre et seul. Ce jour-là, il s’était attardé à veiller un camarade blessé. Quand il eut ouvert la porte et allumé une lampe, il se tourna vers Gervaise, restée humblement sur le palier. Il dit très bas, comme si sa mère avait encore pu l’entendre :

— Entrez.

La première chambre, celle de madame Goujet, était conservée pieusement dans l’état où elle l’avait laissée. Près de la fenêtre, sur une chaise, le tambour se trouvait posé, à côté du grand fauteuil qui semblait attendre la vieille dentellière. Le lit était fait, et elle aurait pu se coucher, si elle avait quitté le cimetière pour venir passer la soirée avec son enfant. La chambre gardait un recueillement, une odeur d’honnêteté et de bonté.

— Entrez, répéta plus haut le forgeron.

Elle entra, peureuse, de l’air d’une fille qui se coule dans un endroit respectable. Lui, était tout pâle et tout tremblant, d’introduire ainsi une femme chez sa mère morte. Ils traversèrent la pièce à pas étouffés, comme pour éviter la honte d’être entendus. Puis, quand il eut poussé Gervaise dans sa chambre, il ferma la porte. Là, il était chez lui. C’était l’étroit cabinet qu’elle connaissait, une chambre de pensionnaire, avec un petit lit de fer garni de rideaux blancs. Contre les murs, seulement, les images découpées s’étaient encore étalées et montaient jusqu’au plafond. Gervaise, dans cette pureté, n’osait avancer, se retirait loin de la lampe. Alors, sans une parole, pris d’une rage, il voulut la saisir et l’écraser entre ses bras. Mais elle défaillait, elle murmura :

— Oh ! mon Dieu !… oh ! mon Dieu !…