Page:Zola - L'Assommoir.djvu/517

Cette page a été validée par deux contributeurs.
517
L’ASSOMMOIR.

— Notre petite mère, notre petite mère…

Il ne trouvait que ça, et c’était déjà bien tendre pour Lalie, qui n’avait jamais été tant gâtée. Elle consola son père. Elle était surtout ennuyée de s’en aller ainsi, avant d’avoir élevé tout à fait ses enfants. Il en prendrait soin, n’est-ce pas ? Elle lui donna de sa voix mourante des détails sur la façon de les arranger, de les tenir propres. Lui, abruti, repris par les fumées de l’ivresse, roulait la tête en la regardant passer de ses yeux ronds. Ça remuait en lui toutes sortes de choses ; mais il ne trouvait plus rien, et avait la couenne trop brûlée pour pleurer.

— Écoute encore, reprit Lalie après un silence. Nous devons quatre francs sept sous au boulanger ; il faudra payer ça… Madame Gaudron a un fer à nous que tu lui réclameras… Ce soir, je n’ai pas pu faire de la soupe, mais il reste du pain, et tu mettras chauffer les pommes de terre…

Jusqu’à son dernier râle, ce pauvre chat restait la petite mère de tout son monde. En voilà une qu’on ne remplacerait pas, bien sûr ! Elle mourait d’avoir eu à son âge la raison d’une vraie mère, la poitrine encore trop tendre et trop étroite pour contenir une aussi large maternité. Et, s’il perdait ce trésor, c’était bien la faute de sa bête féroce de père. Après avoir tué la maman d’un coup de pied, est-ce qu’il ne venait pas de massacrer la fille ! Les deux bons anges seraient dans la fosse, et lui n’aurait plus qu’à crever comme un chien au coin d’une borne.

Gervaise, cependant, se retenait pour ne pas éclater en sanglots. Elle tendait les mains, avec le désir de soulager l’enfant ; et, comme le lambeau de drap glissait, elle voulut le rabattre et arranger le lit. Alors, le pauvre petit corps de la mourante apparut. Ah !