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LES ROUGON-MACQUART.

vitriol. Quand il aperçut Lalie couchée, il tapa sur ses cuisses avec un ricanement, il décrocha le grand fouet, en grognant :

— Ah ! nom de Dieu, c’est trop fort ! nous allons rire !… Les vaches se mettent à la paille en plein midi, maintenant !… Est-ce que tu te moques des paroissiens, sacrée feignante ?… Allons, houp ! décanillons !

Il faisait déjà claquer le fouet au-dessus du lit. Mais l’enfant, suppliante, répétait :

— Non, papa, je t’en prie, ne frappe pas… Je te jure que tu aurais du chagrin… Ne frappe pas.

— Veux-tu sauter, gueula-t-il plus fort, ou je te chatouille les côtes !… Veux-tu sauter, bougre de rosse !

Alors, elle dit doucement :

— Je ne puis pas, comprends-tu ?… Je vais mourir.

Gervaise s’était jetée sur Bijard et lui arrachait le fouet. Lui, hébété, restait devant le lit de sangle. Qu’est-ce qu’elle chantait là, cette morveuse ? Est-ce qu’on meurt si jeune, quand on n’a pas été malade ! Quelque frime pour se faire donner du sucre ! Ah ! il allait se renseigner, et si elle mentait !

— Tu verras, c’est la vérité, continuait-elle. Tant que j’ai pu, je vous ai évité de la peine… Sois gentil, à cette heure, et dis-moi adieu, papa.

Bijard tortillait son nez, de peur d’être mis dedans. C’était pourtant vrai qu’elle avait une drôle de figure, une figure allongée et sérieuse de grande personne. Le souffle de la mort, qui passait dans la chambre, le dessoûlait. Il promena un regard autour de lui, de l’air d’un homme tiré d’un long sommeil, vit le ménage en ordre, les deux enfants débarbouillés, en train de jouer et de rire. Et il tomba sur une chaise, balbutiant :