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L’ASSOMMOIR.

sur l’œil avec les mendiants, des gens qui s’introduisent dans les appartements sous des prétextes, et qui filent en déménageant les objets précieux. D’autant plus que, chez eux, il y avait de quoi voler ; on pouvait envoyer les doigts partout, et en emporter des trente et des quarante francs, rien qu’en fermant le poing. Déjà plusieurs fois, ils s’étaient méfiés, en remarquant la drôle de figure de Gervaise, quand elle se plantait devant l’or. Cette fois, par exemple, ils allaient la surveiller. Et, comme elle s’approchait davantage, les pieds sur la claie de bois, le chaîniste lui cria rudement, sans répondre davantage à sa demande :

— Dites donc ! faites un peu attention, vous allez encore emporter des brins d’or à vos semelles… Vrai, on dirait que vous avez là-dessous de la graisse, pour que ça colle.

Gervaise, lentement, recula. Elle s’était appuyée un instant à une étagère, et voyant madame Lorilleux lui examiner les mains, elle les ouvrit toutes grandes, les montra, disant de sa voix molle, sans se fâcher, en femme tombée qui accepte tout :

— Je n’ai rien pris, vous pouvez regarder.

Et elle s’en alla, parce que l’odeur forte de la soupe aux choux et la bonne chaleur de l’atelier la rendaient trop malade.

Ah ! pour le coup, les Lorilleux ne la retinrent pas ! Bon voyage, du diable s’ils lui ouvraient encore ! Ils avaient assez vu sa figure, ils ne voulaient pas chez eux de la misère des autres, quand cette misère était méritée. Et ils se laissèrent aller à une grosse jouissance d’égoïsme, en se trouvant calés, bien au chaud, avec la perspective d’une fameuse soupe. Boche aussi s’étalait, enflant encore ses joues, si bien que son rire