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LES ROUGON-MACQUART.

Aujourd’hui, elle les tapait de dix sous, demain ce serait de vingt, et il n’y avait plus de raison pour s’arrêter. Non, non, pas de ça. Mardi, s’il fait chaud !

— Mais, ma chère, cria-t-elle, vous savez bien que nous n’avons pas d’argent ! Tenez, voilà la doublure de ma poche. Vous pouvez nous fouiller… Ce serait de bon cœur, naturellement.

— Le cœur y est toujours, grogna Lorilleux ; seulement, quand on ne peut pas, on ne peut pas.

Gervaise, très humble, les approuvait de la tête. Cependant, elle ne s’en allait pas, elle guignait l’or du coin de l’œil, les liasses d’or pendues au mur, le fil d’or que la femme tirait à la filière de toute la force de ses petits bras, les maillons d’or en tas sous les doigts noueux du mari. Et elle pensait qu’un bout de ce vilain métal noirâtre aurait suffi pour se payer un bon dîner. Ce jour-là, l’atelier avait beau être sale, avec ses vieux fers, sa poussière de charbon, sa crasse des huiles mal essuyées, elle le voyait resplendissant de richesses, comme la boutique d’un changeur. Aussi se risqua-t-elle à répéter, doucement :

— Je vous les rendrais, je vous les rendrais, bien sûr… Dix sous, ça ne vous gênerait pas.

Elle avait le cœur tout gonflé, en ne voulant pas avouer qu’elle se brossait le ventre depuis la veille. Puis, elle sentit ses jambes qui se cassaient, elle eut peur de fondre en larmes, bégayant encore :

— Vous seriez si gentils !… Vous ne pouvez pas savoir… Oui, j’en suis là, mon Dieu ! j’en suis là…

Alors, les Lorilleux pincèrent les lèvres et échangèrent un mince regard. La Banban mendiait, à cette heure ! Eh bien ! le plongeon était complet. C’est eux qui n’aimaient pas ça ! S’ils avaient su, ils se seraient barricadés, parce qu’on doit toujours être