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L’ASSOMMOIR.

lui dire seulement de s’asseoir. Qu’est-ce que vous voulez ?

Gervaise ne répondit pas. Elle n’était pas trop mal avec les Lorilleux, cette semaine-là. Mais la demande des dix sous lui restait dans la gorge, parce qu’elle venait d’apercevoir Boche, carrément assis près du poêle, en train de faire des cancans. Il avait un air de se ficher du monde, cet animal ! Il riait comme un cul, le trou de la bouche arrondi, et les joues tellement bouffies qu’elles lui cachaient le nez ; un vrai cul, enfin !

— Qu’est-ce que vous voulez ? répéta Lorilleux.

— Vous n’avez pas vu Coupeau ? finit par balbutier Gervaise. Je le croyais ici.

Les chaînistes et le concierge ricanèrent. Non, bien sûr, ils n’avaient pas vu Coupeau. Ils n’offraient pas assez de petits verres pour voir Coupeau comme ça. Gervaise fit un effort et reprit en bégayant :

— C’est qu’il m’avait promis de rentrer… Oui, il doit m’apporter de l’argent… Et comme j’ai absolument besoin de quelque chose…

Un gros silence régna. Madame Lorilleux éventait rudement le feu de la forge, Lorilleux avait baissé le nez sur le bout de chaîne qui s’allongeait entre ses doigts, tandis que Boche gardait son rire de pleine lune, le trou de la bouche si rond, qu’on éprouvait l’envie d’y fourrer le doigt, pour voir.

— Si j’avais seulement dix sous, murmura Gervaise à voix basse.

Le silence continua.

— Vous ne pourriez pas me prêter dix sous ?… Oh ! je vous les rendrais ce soir !

Madame Lorilleux se tourna et la regarda fixement. En voilà une peloteuse qui venait les empaumer.