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LES ROUGON-MACQUART.

elle pleura. Jamais elle n’aurait la force d’attendre sept heures. Elle avait un balancement de tout son corps, le dandinement d’une petite fille qui berce sa grosse douleur, pliée en deux, s’écrasant l’estomac, pour ne plus le sentir. Ah ! il vaut mieux accoucher que d’avoir faim ! Et, ne se soulageant pas, prise d’une rage, elle se leva, piétina, espérant rendormir sa faim comme un enfant qu’on promène. Pendant une demi-heure, elle se cogna aux quatre coins de la chambre vide. Puis, tout d’un coup, elle s’arrêta, les yeux fixes. Tant pis ! ils diraient ce qu’ils diraient, elle leur lécherait les pieds s’ils voulaient, mais elle allait emprunter dix sous aux Lorilleux.

L’hiver, dans cet escalier de la maison, l’escalier des pouilleux, c’étaient de continuels emprunts de dix sous, de vingt sous, des petits services que ces meurt-de-faim se rendaient les uns aux autres. Seulement, on serait plutôt mort que de s’adresser aux Lorilleux, parce qu’on les savait trop durs à la détente. Gervaise, en allant frapper chez eux, montrait un beau courage. Elle avait si peur, dans le corridor, qu’elle éprouva ce brusque soulagement des gens qui sonnent chez les dentistes.

— Entrez ! cria la voix aigre du chaîniste.

Comme il faisait bon, là dedans ! La forge flambait, allumait l’étroit atelier de sa flamme blanche, pendant que madame Lorilleux mettait à recuire une pelote de fil d’or. Lorilleux, devant son établi, suait, tant il avait chaud, en train de souder des maillons au chalumeau. Et ça sentait bon, une soupe aux choux mijotait sur le poêle, exhalant une vapeur qui retournait le cœur de Gervaise et la faisait s’évanouir.

— Ah ! c’est vous, grogna madame Lorilleux, sans