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L’ASSOMMOIR.

dame Gervaise… Il n’y a pas de crainte, je ne bois jamais, puis je vous aime trop… Voyons, c’est pour ce soir, nous nous chaufferons les petons.

Il avait baissé la voix, il lui parlait dans le cou, tandis qu’elle s’ouvrait un chemin, son panier en avant, au milieu des hommes. Mais elle dit encore non, de la tête, à plusieurs reprises. Pourtant, elle se retournait, lui souriait, semblait heureuse de savoir qu’il ne buvait pas. Bien sûr, elle lui aurait dit oui, si elle ne s’était pas juré de ne point se remettre avec un homme. Enfin, ils gagnèrent la porte, ils sortirent. Derrière eux, l’Assommoir restait plein, soufflant jusqu’à la rue le bruit des voix enrouées et l’odeur liquoreuse des tournées de vitriol. On entendait Mes-Bottes traiter le père Colombe de fripouille, en l’accusant de n’avoir rempli son verre qu’à moitié. Lui, était un bon, un chouette, un d’attaque. Ah ! zut ! le singe pouvait se fouiller, il ne retournait pas à la boîte, il avait la flemme. Et il proposait aux deux camarades d’aller au Petit bonhomme qui tousse, une mine à poivre de la barrière Saint-Denis, où l’on buvait du chien tout pur.

— Ah ! on respire, dit Gervaise, sur le trottoir. Eh bien ! adieu, et merci, monsieur Coupeau… Je rentre vite.

Elle allait suivre le boulevard. Mais il lui avait pris la main, il ne la lâchait pas, répétant :

— Faites donc le tour avec moi, passez par la rue de la Goutte-d’Or, ça ne vous allonge guère… Il faut que j’aille chez ma sœur, avant de retourner au chantier… Nous nous accompagnerons.

Elle finit par accepter, et ils montèrent lentement la rue des Poissonniers, côte à côte, sans se donner le bras. Il lui parlait de sa famille. La mère, maman