Page:Zola - L'Assommoir.djvu/508

Cette page a été validée par deux contributeurs.
508
LES ROUGON-MACQUART.

derrière, son cochon d’homme ! dans le derrière, les Lorilleux, les Boche et les Poisson ! dans le derrière, le quartier qui la méprisait ! Tout Paris y entrait, et elle l’y enfonçait d’une tape, avec un geste de suprême indifférence, heureuse et vengée pourtant de le fourrer là.

Par malheur, si l’on s’accoutume à tout, on n’a pas encore pu prendre l’habitude de ne point manger. C’était uniquement là ce qui défrisait Gervaise. Elle se moquait d’être la dernière des dernières, au fin fond du ruisseau, et de voir les gens s’essuyer, quand elle passait près d’eux. Les mauvaises manières ne la gênaient plus, tandis que la faim lui tordait toujours les boyaux. Oh ! elle avait dit adieu aux petits plats, elle était descendue à dévorer tout ce qu’elle trouvait. Les jours de noce, maintenant, elle achetait chez le boucher des déchets de viande à quatre sous la livre, las de traîner et de noircir dans une assiette ; et elle mettait ça avec une potée de pommes de terre, qu’elle touillait au fond d’un poêlon. Ou bien elle fricassait un cœur de bœuf, un rata dont elle se léchait les lèvres. D’autres fois, quand elle avait du vin, elle se payait une trempette, une vraie soupe de perroquet. Les deux sous de fromage d’Italie, les boisseaux de pommes blanches, les quarts de haricots secs cuits dans leur jus, étaient encore des régals qu’elle ne pouvait plus se donner souvent. Elle tombait aux arlequins, dans les gargots borgnes, où, pour un sou, elle avait des tas d’arêtes de poisson mêlées à des rognures de rôti gâté. Elle tombait plus bas, mendiait chez un restaurateur charitable les croûtes des clients, et faisait une panade, en les laissant mitonner le plus longtemps possible sur le fourneau d’un voisin. Elle en arrivait, les matins de fringale, à rôder avec les chiens,