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LES ROUGON-MACQUART.

payaient le bastringue pour leur plaisir, aimant regarder les danses. Pendant des heures, sans rien se dire, ils restaient le coude sur la table, hébétés au milieu du tremblement du plancher, s’amusant sans doute au fond à suivre de leurs yeux pâles les roulures de barrière, dans l’étouffement et la clarté rouge de la salle.

Justement, un soir de novembre, ils étaient entrés au Grand Salon de la Folie pour se réchauffer. Dehors, un petit frisquet coupait en deux la figure des passants. Mais la salle était bondée. Il y avait là dedans un grouillement du tonnerre de Dieu, du monde à toutes les tables, du monde au milieu, du monde en l’air, un vrai tas de charcuterie ; oui, ceux qui aimaient les tripes à la mode de Caen, pouvaient se régaler. Quand ils eurent fait deux fois le tour sans trouver une table, ils prirent le parti de rester debout, à attendre qu’une société eût débarrassé le plancher. Coupeau se dandinait sur ses pieds, en blouse sale, en vieille casquette de drap sans visière, aplatie au sommet du crâne. Et, comme il barrait le passage, il vit un petit jeune homme maigre qui essuyait la manche de son paletot, après lui avoir donné un coup de coude.

— Dites donc ! cria-t-il, furieux, en retirant son brûle-gueule de sa bouche noire, vous ne pourriez pas demander excuse ?… Et ça fait le dégoûté encore, parce qu’on porte une blouse !

Le jeune homme s’était retourné, toisant le zingueur, qui continuait :

— Apprends un peu, bougre de greluchon, que la blouse est le plus beau vêtement, oui ! le vêtement du travail !… Je vas t’essuyer, moi, si tu veux, avec une paire de claques… A-t-on jamais vu des tantes pareilles qui insultent l’ouvrier !