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L’ASSOMMOIR.

Il s’animait, et comme il avait fini de croquer son sucre d’orge, il venait d’ouvrir un tiroir, dans lequel il prenait des morceaux de pâte de guimauve, qu’il gobait en gesticulant.

— C’est bien simple… Avant tout, je reconstituerais la Pologne, et j’établirais un grand État scandinave, qui tiendrait en respect le géant du Nord… Ensuite, je ferais une république de tous les petits royaumes allemands… Quant à l’Angleterre, elle n’est guère à craindre ; si elle bougeait, j’enverrais cent mille hommes dans l’Inde… Ajoutez que je reconduirais, la crosse dans le dos, le Grand Turc à la Mecque, et le pape à Jérusalem… Hein ? l’Europe serait vite propre. Tenez ! Badingue, regardez un peu…

Il s’interrompit pour prendre à poignée cinq ou six morceaux de pâte de guimauve.

— Eh bien ! ce ne serait pas plus long que d’avaler ça.

Et il jetait, dans sa bouche ouverte, les morceaux les uns après les autres.

— L’empereur a un autre plan, dit le sergent de ville, au bout de deux grandes minutes de réflexion.

— Laissez donc ! reprit violemment le chapelier. On le connaît, son plan ! L’Europe se fiche de nous… Tous les jours, les larbins des Tuileries ramassent votre patron sous la table, entre deux gadoues du grand monde.

Mais Poisson s’était levé. Il s’avança et mit la main sur son cœur, en disant :

— Vous me blessez, Auguste. Discutez sans faire de personnalités.

Virginie alors intervint, en les priant de lui flanquer la paix. Elle avait l’Europe quelque part. Comment deux hommes qui partageaient tout le reste,