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LES ROUGON-MACQUART.

l’envie de faire le saut. Oh ! sa tante comprenait le sentiment ; même le fabricant de boutons, ce monsieur âgé déjà et si convenable, l’attendrissait, car enfin le sentiment chez les personnes mûres a toujours des racines plus profondes. Seulement, elle veillait. Oui, il lui passerait plutôt sur le corps avant d’arriver à la petite. Un soir, elle s’approcha du monsieur et lui envoya raide comme balle que ce qu’il faisait là n’était pas bien. Il la salua poliment, sans répondre, en vieux rocantin habitué aux rebuffades des parents. Elle ne pouvait vraiment pas se fâcher, il avait de trop bonnes manières. Et c’étaient des conseils pratiques sur l’amour, des allusions sur les salopiauds d’hommes, toutes sortes d’histoires de margots qui s’étaient bien repenties d’y avoir passé, dont Nana sortait languissante, avec des yeux de scélératesse dans son visage blanc.

Mais, un jour, rue du Faubourg-Poissonnière, le fabricant de boutons avait osé allonger son nez entre la nièce et la tante, pour murmurer des choses qui n’étaient pas à dire. Et madame Lerat, effrayée, répétant qu’elle n’était même plus tranquille pour elle, lâcha tout le paquet à son frère. Alors, ce fut un autre train. Il y eut, chez les Coupeau, de jolis charivaris. D’abord, le zingueur flanqua une tripotée à Nana. Qu’est-ce qu’on lui apprenait ? cette gueuse-là donnait dans les vieux ! Ah bien ! qu’elle se laissât surprendre à se faire relicher dehors, elle était sûre de son affaire, il lui couperait le cou un peu vivement ! Avait-on jamais vu ! une morveuse qui se mêlait de déshonorer la famille ! Et il la secouait, en disant, nom de Dieu ! qu’elle eût à marcher droit, car ce serait lui qui la surveillerait à l’avenir. Dès qu’elle rentrait, il la visitait, il la regardait bien en face, pour de-