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LES ROUGON-MACQUART.

enfin, voulut bien le lui dire, les lèvres contre l’oreille. Augustine se renversa, se tordit à son tour. Puis, elle-même répéta la phrase, qui courut ainsi d’oreille à oreille, au milieu des exclamations et des rires étouffés. Lorsque toutes connurent la saleté de Sophie, elles se regardèrent, elles éclatèrent ensemble, un peu rouges et confuses pourtant. Seule, madame Lerat ne savait pas. Elle était très vexée.

— C’est bien mal poli ce que vous faites là, mesdemoiselles, dit-elle. On ne se parle jamais tout bas, quand il y a du monde… Quelque indécence, n’est-ce pas ? Ah ! c’est du propre !

Elle n’osa pourtant pas demander qu’on lui répétât la saleté de Sophie, malgré son envie furieuse de la connaître. Mais, pendant un instant, le nez baissé, faisant de la dignité, elle se régala de la conversation des ouvrières. Une d’elles ne pouvait lâcher un mot, le mot le plus innocent, à propos de son ouvrage par exemple, sans qu’aussitôt les autres y entendissent malice ; elles détournaient le mot de son sens, lui donnaient une signification cochonne, mettaient des allusions extraordinaires sous des paroles simples comme celles-ci : « Ma pince est fendue, » ou bien : « Qui est-ce qui a fouillé dans mon petit pot ? » Et elles rapportaient tout au monsieur qui faisait le pied de grue en face, c’était le monsieur qui arrivait quand même au bout des allusions. Ah ! les oreilles devaient lui corner ! Elles finissaient par dire des choses très bêtes, tant elles voulaient être malignes. Mais ça ne les empêchait pas de trouver ce jeu-là bien amusant, excitées, les yeux fous, allant de plus fort en plus fort. Madame Lerat n’avait pas à se fâcher, on ne disait rien de cru. Elle-même les fit toutes se rouler, en demandant :