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L’ASSOMMOIR.

sieur bien vêtu, en paletot, d’une cinquantaine d’années ; il avait une face blême, très sérieuse et très digne, avec un collier de barbe grise, correctement taillé. Pendant une heure, il resta devant la boutique d’un herboriste, levant les yeux sur les jalousies de l’atelier. Les fleuristes poussaient des petits rires, qui s’étouffaient dans le bruit de la rue ; et elles se courbaient, très affairées, au-dessus de l’ouvrage, avec des coups d’œil, pour ne pas perdre de vue le monsieur.

— Tiens ! fit remarquer Léonie, il a un lorgnon. Oh ! c’est un homme chic… Il attend Augustine, bien sûr.

Mais Augustine, une grande blonde laide, répondit aigrement qu’elle n’aimait pas les vieux. Et madame Lerat, hochant la tête, murmura avec son sourire pincé, plein de sous-entendu :

— Vous avez tort, ma chère ; les vieux sont plus tendres.

À ce moment, la voisine de Léonie, une petite personne grasse, lui lâcha dans l’oreille une phrase ; et Léonie, brusquement, se renversa sur sa chaise, prise d’un accès de fou rire, se tordant, jetant des regards vers le monsieur et riant plus fort. Elle bégayait :

— C’est ça, oh ! c’est ça !… Ah ! cette Sophie, est-elle sale !

— Qu’est-ce qu’elle a dit ? qu’est-ce qu’elle a dit ? demandait tout l’atelier brûlant de curiosité.

Léonie essuyait les larmes de ses yeux, sans répondre. Quand elle fut un peu calmée, elle se remit à gaufrer, en déclarant :

— Ça ne peut pas se répéter.

On insistait, elle refusait de la tête, reprise par des bouffées de gaieté. Alors Augustine, sa voisine de gauche, la supplia de le lui dire tout bas. Et Léonie,