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L’ASSOMMOIR.

recommencer une marguerite. Puis, elle s’en alla de l’air raide dont elle était venue.

— Houp ! houp ! répéta Nana, au milieu d’un grognement général.

— Mesdemoiselles, vraiment, mesdemoiselles ! dit madame Lerat qui voulut prendre un air de sévérité. Vous me forcerez à des mesures…

Mais on ne l’écoutait pas, on ne la craignait guère. Elle se montrait trop tolérante, chatouillée parmi ces petites qui avaient de la rigolade plein les yeux, les prenant à part pour leur tirer les vers du nez sur leurs amants, leur faisant même les cartes, lorsqu’un bout de l’établi était libre. Sa peau dure, sa carcasse de gendarme tressautait d’une joie dansante de commère, dès qu’on était sur le chapitre de la bagatelle. Elle se blessait seulement des mots crus ; pourvu qu’on n’employât pas les mots crus, on pouvait tout dire.

Vrai ! Nana complétait à l’atelier une jolie éducation ! Oh ! elle avait des dispositions, bien sûr. Mais ça l’achevait, la fréquentation d’un tas de filles déjà éreintées de misère et de vice. On était là les unes sur les autres, on se pourrissait ensemble ; juste l’histoire des paniers de pommes, quand il y a des pommes gâtées. Sans doute, on se tenait devant la société, on évitait de paraître trop rosse de caractère, trop dégoûtante d’expressions. Enfin, on posait pour la demoiselle comme il faut. Seulement, à l’oreille, dans les coins, les saletés marchaient bon train. On ne pouvait pas se trouver deux ensemble, sans tout de suite se tordre de rire, en disant des cochonneries. Puis, on s’accompagnait le soir ; c’était alors des confidences, des histoires à faire dresser les cheveux, qui attardaient sur les trottoirs les deux gamines,