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LES ROUGON-MACQUART.

vait-on assez elle-même ! Elle couvait sa nièce de ses yeux allumés de continuelles préoccupations polissonnes, elle restait tout échauffée à l’idée de garder et de mijoter l’innocence de ce pauvre petit chat.

— Vois-tu, lui répétait-elle, il faut tout me dire. Je suis trop bonne pour toi, je n’aurais plus qu’à me jeter à la Seine, s’il t’arrivait un malheur… Entends-tu, mon petit chat, si des hommes te parlaient, il faudrait tout me répéter, tout, sans oublier un mot… Hein ? on ne t’a encore rien dit, tu me le jures ?

Nana riait alors d’un rire qui lui pinçait drôlement la bouche. Non, non, les hommes ne lui parlaient pas. Elle marchait trop vite. Puis, qu’est-ce qu’ils lui auraient dit ? elle n’avait rien à démêler avec eux, peut-être ! Et elle expliquait ses retards d’un air de niaise : elle s’était arrêtée pour regarder les images, ou bien elle avait accompagné Pauline qui savait des histoires. On pouvait la suivre, si on ne la croyait pas ; elle ne quittait même jamais le trottoir de gauche ; et elle filait joliment, elle devançait toutes les autres demoiselles, comme une voiture. Un jour, à la vérité, madame Lerat l’avait surprise, rue du Petit-Carreau, le nez en l’air, riant avec trois autres traînées de fleuristes, parce qu’un homme se faisait la barbe, à une fenêtre ; mais la petite s’était fâchée, en jurant qu’elle entrait justement chez le boulanger du coin acheter un pain d’un sou.

— Oh ! je veille, n’ayez pas peur, disait la grande veuve aux Coupeau. Je vous réponds d’elle comme de moi-même. Si un salaud voulait seulement la pincer, je me mettrais plutôt en travers.

L’atelier, chez Titreville, était une grande pièce à l’entresol, avec un large établi posé sur des tréteaux,