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LES ROUGON-MACQUART.

tait prise par ses pattes de cuivre, pendant que le ruisseau coulait maintenant au travers de son corps.

Puis, la salle dansa, avec les becs de gaz qui filaient comme des étoiles. Gervaise était poivre. Elle entendait une discussion furieuse entre Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, et cet encloué de père Colombe. En voilà un voleur de patron qui marquait à la fourchette ! On n’était pourtant pas à Bondy. Mais, brusquement, il y eut une bousculade, des hurlements, un vacarme de tables renversées. C’était le père Colombe qui flanquait la société dehors, sans se gêner, en un tour de main. Devant la porte, on l’engueula, on l’appela fripouille. Il pleuvait toujours, un petit vent glacé soufflait. Gervaise perdit Coupeau, le retrouva et le perdit encore. Elle voulait rentrer, elle tâtait les boutiques pour reconnaître son chemin. Cette nuit soudaine l’étonnait beaucoup. Au coin de la rue des Poissonniers, elle s’assit dans le ruisseau, elle se crut au lavoir. Toute l’eau qui coulait lui tournait la tête et la rendait très malade. Enfin, elle arriva, elle fila raide devant la porte des concierges, chez lesquels elle vit parfaitement les Lorilleux et les Poisson attablés, qui firent des grimaces de dégoût en l’apercevant dans ce bel état.

Jamais elle ne sut comment elle avait monté les six étages. En haut, au moment où elle prenait le corridor, la petite Lalie, qui entendait son pas, accourut, les bras ouverts dans un geste de caresse, riant et disant :

— Madame Gervaise, papa n’est pas rentré, venez donc voir dormir mes enfants… Oh ! ils sont gentils !

Mais, en face du visage hébété de la blanchisseuse, elle recula et trembla. Elle connaissait ce souffle