Page:Zola - L'Assommoir.djvu/435

Cette page a été validée par deux contributeurs.
435
L’ASSOMMOIR.

Quand il fut dans son lit, elle lui donna les deux oranges, ce qui lui causa un attendrissement. Il redevenait gentil, depuis qu’il buvait de la tisane et qu’il ne pouvait plus laisser son cœur sur les comptoirs des mastroquets. Elle finit par oser lui parler de son coup de marteau, surprise de l’entendre raisonner comme au bon temps.

— Ah ! oui, dit-il en se blaguant lui-même, j’ai joliment rabâché !… Imagine-toi, je voyais des rats, je courais à quatre pattes pour leur mettre un grain de sel sous la queue. Et toi, tu m’appelais, des hommes voulaient t’y faire passer. Enfin, toutes sortes de bêtises, des revenants en plein jour… Oh ! je me souviens très bien, la caboche est encore solide… À présent, c’est fini, je rêvasse en m’endormant, j’ai des cauchemars, mais tout le monde a des cauchemars.

Gervaise resta près de lui jusqu’au soir. Quand l’interne vint, à la visite de six heures, il lui fit étendre les mains ; elles ne tremblaient presque plus, à peine un frisson qui agitait le bout des doigts. Cependant, comme la nuit tombait, Coupeau fut peu à peu pris d’une inquiétude. Il se leva deux fois sur son séant, regardant par terre, dans les coins d’ombre de la pièce. Brusquement, il allongea le bras et parut écraser une bête contre le mur.

— Qu’est-ce donc ? demanda Gervaise, effrayée.

— Les rats, les rats, murmura-t-il.

Puis, après un silence, glissant au sommeil, il se débattit, en lâchant des mots entrecoupés.

— Nom de Dieu ! ils me trouent la pelure !… Oh ! les sales bêtes !… Tiens bon ! serre tes jupes ! méfie-toi du salopiaud, derrière toi !… Sacré tonnerre, la voilà culbutée, et ces mufes qui rigolent !… Tas de mufes ! tas de fripouilles ! tas de brigands !