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L’ASSOMMOIR.

hurlements de la petite. Devant un pareil tableau, elle fut prise d’une indignation furieuse.

— Ah ! la saleté d’homme ! cria-t-elle. Voulez-vous bien la laisser, brigand ! Je vais vous dénoncer à la police, moi !

Bijard eut un grognement d’animal qu’on dérange. Il bégaya :

— Dites donc, vous, la Tortillard ! mêlez-vous un peu de vos affaires. Il faut peut-être que je mette des gants pour la trifouiller… C’est à la seule fin de l’avertir, vous voyez bien, histoire simplement de lui montrer que j’ai le bras long.

Et il lança un dernier coup de fouet qui atteignit Lalie au visage. La lèvre supérieure fut fendue, le sang coula. Gervaise avait pris une chaise, voulait tomber sur le serrurier. Mais la petite tendait vers elle des mains suppliantes, disait que ce n’était rien, que c’était fini. Elle épongeait le sang avec le coin de son tablier, et faisait taire ses enfants qui pleuraient à gros sanglots, comme s’ils avaient reçu la dégelée de coups de fouet.

Lorsque Gervaise songeait à Lalie, elle n’osait plus se plaindre. Elle aurait voulu avoir le courage de cette bambine de huit ans, qui en endurait à elle seule autant que toutes les femmes de l’escalier réunies. Elle l’avait vue au pain sec pendant trois mois, ne mangeant pas même des croûtes à sa faim, si maigre et si affaiblie, qu’elle se tenait aux murs pour marcher ; et, quand elle lui portait des restants de viande en cachette, elle sentait son cœur se fendre, en la regardant avaler avec de grosses larmes silencieuses, par petits morceaux, parce que son gosier rétréci ne laissait plus passer la nourriture. Toujours tendre et dévouée malgré ça, d’une raison au-dessus de son