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L’ASSOMMOIR.

— Bonjour, monsieur Hardi. Comment vous portez-vous, monsieur Hardi ?

Mais une main brutale poussa la porte, le père Bijard entra. Alors, la scène changea, Henriette et Jules tombèrent sur leur derrière, contre le mur ; tandis que Lalie, terrifiée, restait au beau milieu d’une révérence. Le serrurier tenait un grand fouet de charretier tout neuf, à long manche de bois blanc, à lanière de cuir terminée par un bout de ficelle mince. Il posa ce fouet dans le coin du lit, il n’allongea pas son coup de soulier habituel à la petite, qui se garait déjà en présentant les reins. Un ricanement montrait ses dents noires, et il était très gai, très soûl, la trogne allumée d’une idée de rigolade.

— Hein ? dit-il, tu fais la traînée, bougre de trognon ! Je t’ai entendue danser d’en bas… Allons, avance ! Plus près, nom de Dieu ! et en face ; je n’ai pas besoin de renifler ton moutardier. Est-ce que je te touche, pour trembler comme un quiqui ?… Ôte-moi mes souliers.

Lalie, épouvantée de ne pas recevoir sa tatouille, redevenue toute pâle, lui ôta ses souliers. Il s’était assis au bord du lit, il se coucha habillé, resta les yeux ouverts, à suivre les mouvements de la petite dans la pièce. Elle tournait, abêtie sous ce regard, les membres travaillés peu à peu d’une telle peur, qu’elle finit par casser une tasse. Alors, sans se déranger, il prit le fouet, il le lui montra.

— Dis donc, le petit veau, regarde ça ; c’est un cadeau pour toi. Oui, c’est encore cinquante sous que tu me coûtes… Avec ce joujou-là, je ne serai plus obligé de courir, et tu auras beau te fourrer dans les coins. Veux-tu essayer ?… Ah ! tu casses les tasses !… Allons, houp ! danse donc, fais donc des révérences à monsieur Hardi !