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L’ASSOMMOIR.

de ne rien dire. Elle ne voulait pas qu’on embêtât son père à cause d’elle. Elle le défendait, assurait qu’il n’aurait pas été méchant, s’il n’avait pas bu. Il était fou, il ne savait plus. Oh ! elle lui pardonnait, parce qu’on doit tout pardonner aux fous.

Depuis lors, Gervaise veillait, tâchait d’intervenir, dès qu’elle entendait le père Bijard monter l’escalier. Mais, la plupart du temps, elle attrapait simplement quelque torgnole pour sa part. Dans la journée, quand elle entrait, elle trouvait souvent Lalie attachée au pied du lit de fer ; une idée du serrurier, qui, avant de sortir, lui ficelait les jambes et le ventre avec de la grosse corde, sans qu’on pût savoir pourquoi ; une toquade de cerveau dérangé par la boisson, histoire sans doute de tyranniser la petite, même lorsqu’il n’était plus là. Lalie, raide comme un pieu, avec des fourmis dans les jambes, restait au poteau pendant des journées entières ; même elle y resta une nuit, Bijard ayant oublié de rentrer. Quand Gervaise, indignée parlait de la détacher, elle la suppliait de ne pas déranger une corde, parce que son père devenait furieux, s’il ne retrouvait pas les nœuds faits de la même façon. Vrai, elle n’était pas mal, ça la reposait ; et elle disait cela en souriant, ses courtes jambes de chérubin enflées et mortes. Ce qui la chagrinait, c’était que ça n’avançait guère l’ouvrage, d’être collée à ce lit, en face de la débandade du ménage. Son père aurait bien dû inventer autre chose. Elle surveillait tout de même ses enfants, se faisait obéir, appelait près d’elle Henriette et Jules pour les moucher. Comme elle avait les mains libres, elle tricotait en attendant d’être délivrée, afin de ne pas perdre complètement son temps. Et elle souffrait surtout, lorsque Bijard la déficelait ; elle se traînait