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LES ROUGON-MACQUART.

poings contre la cloison. Elle avait passé une semaine affreuse, bousculée par tout le monde, sans le sou, à bout de courage. Ce soir-là, elle n’était pas bien, elle grelottait la fièvre et voyait danser des flammes. Alors, au lieu de se jeter par la fenêtre, comme elle en avait eu l’envie un moment, elle se mit à taper et à appeler :

— Père Bazouge ! père Bazouge !

Le croque-mort ôtait ses souliers en chantant : Il était trois belles filles. L’ouvrage avait dû marcher dans la journée, car il paraissait plus ému encore que d’habitude.

— Père Bazouge ! père Bazouge ! cria Gervaise en haussant la voix.

Il ne l’entendait donc pas ? Elle se donnait tout de suite, il pouvait bien la prendre à son cou et l’emporter où il emportait ses autres femmes, les pauvres et les riches qu’il consolait. Elle souffrait de sa chanson : Il était trois belles filles, parce qu’elle y voyait le dédain d’un homme qui a trop d’amoureuses.

— Quoi donc ? quoi donc ? bégaya Bazouge, qui est-ce qui se trouve mal ?… On y va, la petite mère !

Mais, à cette voix enrouée, Gervaise s’éveilla comme d’un cauchemar. Qu’avait-elle fait ? elle avait tapé à la cloison, bien sûr. Alors ce fut un vrai coup de bâton sur ses reins, le trac lui serra les fesses, elle recula en croyant voir les grosses mains du croque-mort passer au travers du mur pour la saisir par la tignasse. Non, non, elle ne voulait pas, elle n’était pas prête. Si elle avait frappé, ce devait être avec le coude, en se retournant, sans en avoir l’idée. Et une horreur lui montait des genoux aux épaules, à la pensée de se voir trimbaler entre les bras du vieux, toute raide, la figure blanche comme une assiette.