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LES ROUGON-MACQUART.

qu’elles devaient désormais savoir faire la cuisine, raccommoder les chaussettes, conduire une maison. On leur parla même de leur mariage et des enfants qui leur pousseraient un jour. Les gamines écoutaient et rigolaient en dessous, se frottaient l’une contre l’autre, le cœur gonflé d’être des femmes, rouges et embarrassées dans leurs robes blanches. Mais ce qui les chatouilla le plus, ce fut lorsque Lantier les plaisanta, en leur demandant si elles n’avaient pas déjà des petits maris. Et l’on fit avouer de force à Nana qu’elle aimait bien Victor Fauconnier, le fils de la patronne de sa mère.

— Ah bien ! dit madame Lorilleux devant les Boche, comme on partait, c’est notre filleule, mais du moment où ils en font une fleuriste, nous ne voulons plus entendre parler d’elle. Encore une roulure pour les boulevards… Elle leur chiera du poivre, avant six mois.

En remontant se coucher, les Coupeau convinrent que tout avait bien marché et que les Poisson n’étaient pas de méchantes gens. Gervaise trouvait même la boutique proprement arrangée. Elle s’attendait à souffrir, en passant ainsi la soirée dans son ancien logement, où d’autres se carraient à cette heure ; et elle restait surprise de n’avoir pas ragé une seconde. Nana, qui se déshabillait, demanda à sa mère si la robe de la demoiselle du second, qu’on avait mariée le mois dernier, était en mousseline comme la sienne.

Mais ce fut là le dernier beau jour du ménage. Deux années s’écoulèrent, pendant lesquelles ils s’enfoncèrent de plus en plus. Les hivers surtout les nettoyaient. S’ils mangeaient du pain au beau temps, les fringales arrivaient avec la pluie et le froid, les