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LES ROUGON-MACQUART.

s’aime entre gens qui se détestent. Lantier, ayant à sa gauche Gervaise et Virginie à sa droite, se montra aimable pour toutes les deux, leur prodiguant des tendresses de coq qui veut la paix dans son poulailler. En face, Poisson gardait sa rêverie calme et sévère de sergent de ville, son habitude de ne penser à rien, les yeux voilés, pendant ses longues factions sur les trottoirs. Mais les reines de la fête furent les deux petites, Nana et Pauline, auxquelles on avait permis de ne pas se déshabiller ; elles se tenaient raides, de crainte de tacher leurs robes blanches, et on leur criait, à chaque bouchée, de lever le menton, pour avaler proprement. Nana, ennuyée, finit par baver tout son vin sur son corsage ; ce fut une affaire, on la déshabilla, on lava immédiatement le corsage dans un verre d’eau.

Puis, au dessert, on causa sérieusement de l’avenir des enfants. Madame Boche avait fait son choix, Pauline allait entrer dans un atelier de reperceuses sur or et sur argent ; on gagnait là-dedans des cinq et six francs. Gervaise ne savait pas encore, Nana ne montrait aucun goût. Oh ! elle galopinait, elle montrait ce goût ; mais, pour le reste, elle avait des mains de beurre.

— Moi, à votre place, dit madame Lerat, j’en ferais une fleuriste. C’est un état propre et gentil.

— Les fleuristes, murmura Lorilleux, toutes des Marie-couche-toi-là.

— Eh bien ! et moi ? reprit la grande veuve, les lèvres pincées. Vous êtes galant. Vous savez, je ne suis pas une chienne, je ne me mets pas les pattes en l’air, quand on siffle !

Mais toute la société la fit taire.

— Madame Lerat ! oh ! madame Lerat !