Page:Zola - L'Assommoir.djvu/408

Cette page a été validée par deux contributeurs.
408
LES ROUGON-MACQUART.

avec une tranquillité de pacha, s’engraissait de sa roublardise. Ce mâtin-là digérait encore les Coupeau qu’il mangeait déjà les Poisson. Oh ! ça ne le gênait guère ! une boutique avalée, il entamait une seconde boutique. Enfin, il n’y a que les hommes de cette espèce qui aient de la chance.

Ce fut cette année-là, en juin, que Nana fit sa première communion. Elle allait sur ses treize ans, grande déjà comme une asperge montée, avec un air d’effronterie ; l’année précédente, on l’avait renvoyée du catéchisme, à cause de sa mauvaise conduite ; et, si le curé l’admettait cette fois, c’était de peur de ne pas la voir revenir et de lâcher sur le pavé une païenne de plus. Nana dansait de joie en pensant à la robe blanche. Les Lorilleux, comme parrain et marraine, avaient promis la robe, un cadeau dont ils parlaient dans toute la maison ; madame Lerat devait donner le voile et le bonnet, Virginie la bourse, Lantier le paroissien ; de façon que les Coupeau attendaient la cérémonie sans trop s’inquiéter. Même les Poisson, qui voulaient pendre la crémaillère, choisirent justement cette occasion, sans doute sur le conseil du chapelier. Ils invitèrent les Coupeau et les Boche, dont la petite faisait aussi sa première communion. Le soir, on mangerait chez eux un gigot et quelque chose autour.

Justement, la veille, au moment où Nana émerveillée regardait les cadeaux étalés sur la commode, Coupeau rentra dans un état abominable. L’air de Paris le reprenait. Et il attrapa sa femme et l’enfant, avec des raisons d’ivrogne, des mots dégoûtants qui n’étaient pas à dire dans la situation. D’ailleurs, Nana elle-même devenait mal embouchée, au milieu des conversations sales qu’elle entendait continuelle-