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L’ASSOMMOIR.

un moment pareil ! dit madame Lorilleux à son mari, en apercevant le corbillard devant la porte.

Le corbillard révolutionnait le quartier. La tripière appelait les garçons de l’épicier, le petit horloger était sorti sur le trottoir, les voisins se penchaient aux fenêtres. Et tout ce monde causait du lambrequin à franges de coton blanches. Ah ! les Coupeau auraient mieux fait de payer leurs dettes ! Mais, comme le déclaraient les Lorilleux, lorsqu’on a de l’orgueil, ça sort partout et quand même.

— C’est honteux ! répétait au même instant Gervaise, en parlant du chaîniste et de sa femme. Dire que ces rapiats n’ont pas même apporté un bouquet de violettes pour leur mère !

Les Lorilleux, en effet, étaient venus les mains vides. Madame Lerat avait donné une couronne de fleurs artificielles. Et l’on mit encore sur la bière une couronne d’immortelles et un bouquet achetés par les Coupeau. Les croque-morts avaient dû donner un fameux coup d’épaule pour hisser et charger le corps. Le cortège fut lent à s’organiser. Coupeau et Lorilleux, en redingote, le chapeau à la main, conduisaient le deuil ; le premier dans son attendrissement que deux verres de vin blanc, le matin, avaient entretenu, se tenait au bras de son beau-frère, les jambes molles et les cheveux malades. Puis marchaient les hommes, M. Madinier, très grave, tout en noir, Mes-Bottes, un paletot sur sa blouse, Boche, dont le pantalon jaune fichait un pétard, Lantier, Gaudron, Bibi-la-Grillade, Poisson, d’autres encore. Les dames arrivaient ensuite, au premier rang madame Lorilleux qui traînait la jupe retapée de la morte, madame Lerat cachant sous son châle son deuil improvisé, un caraco garni de lilas, et à la file Virginie,