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L’ASSOMMOIR.

dant le jour. Elle se décidait à la faire habiller, lorsque Lantier, en pantalon et en pantoufles, vint la rejoindre ; il ne pouvait plus dormir, il avait un peu honte de sa conduite. Alors, tout s’arrangea.

— Qu’elle se couche dans mon lit, murmura-t-il. Elle aura de la place.

Nana leva sur sa mère et sur Lantier ses grands yeux clairs, en prenant son air bête, son air du jour de l’an, quand on lui donnait des pastilles de chocolat. Et on n’eut pas besoin de la pousser, bien sûr ; elle trotta en chemise, ses petons nus effleurant à peine le carreau ; elle se glissa comme une couleuvre dans le lit, qui était encore tout chaud, et s’y tint allongée, enfoncée, son corps fluet bossuant à peine la couverture. Chaque fois que sa mère entra, elle la vit les yeux luisants dans sa face muette, ne dormant pas, ne bougeant pas, très rouge et paraissant réfléchir à des affaires.

Cependant, Lantier avait aidé Gervaise à habiller maman Coupeau ; et ce n’était pas une petite besogne, car la morte pesait son poids. Jamais on n’aurait cru que cette vieille-là était si grasse et si blanche. Ils lui avaient mis des bas, un jupon blanc, une camisole, un bonnet ; enfin son linge le meilleur. Coupeau ronflait toujours, deux notes, l’une grave, qui descendait, l’autre sèche, qui remontait ; on aurait dit de la musique d’église, accompagnant les cérémonies du vendredi saint. Aussi, quand la morte fut habillée et proprement étendue sur son lit, Lantier se versa-t-il un verre de vin, pour se remettre, car il avait le cœur à l’envers. Gervaise fouillait dans la commode, cherchant un petit crucifix en cuivre, apporté par elle de Plassans ; mais elle se rappela que maman Coupeau elle-même devait l’avoir vendu. Ils avaient allumé le