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L’ASSOMMOIR.

trouées seulement par des ronds de soleil, des balles d’or, que les déchirures des rideaux laissaient passer. On respirait l’étouffement tiède des odeurs savonneuses. Tout d’un coup, le hangar s’emplit d’une buée blanche ; l’énorme couvercle du cuvier où bouillait la lessive, montait mécaniquement le long d’une tige centrale à crémaillère ; et le trou béant du cuivre, au fond de sa maçonnerie de briques, exhalait des tourbillons de vapeur, d’une saveur sucrée de potasse. Cependant, à côté, les essoreuses fonctionnaient ; des paquets de linge, dans des cylindres de fonte, rendaient leur eau sous un tour de roue de la machine, haletante, fumante, secouant plus rudement le lavoir de la besogne continue de ses bras d’acier.

Quand Gervaise mit le pied dans l’allée de l’hôtel Boncœur, les larmes la reprirent. C’était une allée noire, étroite, avec un ruisseau longeant le mur, pour les eaux sales ; et cette puanteur qu’elle retrouvait, lui faisait songer aux quinze jours passés là avec Lantier, quinze jours de misère et de querelles, dont le souvenir, à cette heure, était un regret cuisant. Il lui sembla entrer dans son abandon.

En haut, la chambre était nue, pleine de soleil, la fenêtre ouverte. Ce coup de soleil, cette nappe de poussière d’or dansante, rendait lamentables le plafond noir, les murs au papier arraché. Il n’y avait plus, à un clou de la cheminée, qu’un petit fichu de femme, tordu comme une ficelle. Le lit des enfants, tiré au milieu de la pièce, découvrait la commode, dont les tiroirs laissés ouverts montraient leurs flancs vides. Lantier s’était lavé et avait achevé la pommade, deux sous de pommade dans une carte à jouer ; l’eau grasse de ses mains emplissait la cuvette. Et il n’avait rien oublié, le coin occupé jusque-là par la malle