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L’ASSOMMOIR.

de vingt sous qui traînaient, menait Gervaise au doigt et à l’œil, grognait, gueulait, avait l’air plus chez lui que le zingueur. Enfin, c’était une baraque qui avait deux bourgeois. Et le bourgeois d’occasion, plus malin, tirait à lui la couverture, prenait le dessus du panier de tout, de la femme, de la table et du reste. Il écrémait les Coupeau, quoi ! Il ne se gênait plus pour battre son beurre en public. Nana restait sa préférée, parce qu’il aimait les petites filles gentilles. Il s’occupait de moins en moins d’Étienne, les garçons, selon lui, devant savoir se débrouiller. Lorsqu’on venait demander Coupeau, on le trouvait toujours là, en pantoufles, en manches de chemise, sortant de l’arrière-boutique avec la tête ennuyée d’un mari qu’on dérange ; et il répondait pour Coupeau, il disait que c’était la même chose.

Entre ces deux messieurs, Gervaise ne riait pas tous les jours. Elle n’avait pas à se plaindre de sa santé, Dieu merci ! Elle aussi devenait trop grasse. Mais deux hommes sur le dos, à soigner et à contenter, ça dépassait ses forces, souvent. Ah ! Dieu de Dieu ! un seul mari vous esquinte déjà assez le tempérament ! Le pis était qu’ils s’entendaient très bien, ces mâtins-là. Jamais ils ne se disputaient ; ils se ricanaient dans la figure, le soir, après le dîner, les coudes posés au bord de la table ; ils se frottaient l’un contre l’autre toute la journée, comme les chats qui cherchent et cultivent leur plaisir. Les jours où ils rentraient furieux, c’était sur elle qu’ils tombaient. Allez-y ! tapez sur la bête ! Elle avait bon dos ; ça les rendait meilleurs camarades de gueuler ensemble. Et il ne fallait pas qu’elle s’avisât de se rebéquer. Dans les commencements, quand l’un criait, elle suppliait l’autre du coin de l’œil, pour en tirer une parole de