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LES ROUGON-MACQUART.

On ne voyait plus que maman Coupeau sur les trottoirs, cachant des paquets sous son tablier, allant d’un pas de promenade au Mont-de-Piété de la rue Polonceau. Elle arrondissait le dos, avait la mine confite et gourmande d’une dévote qui va à la messe ; car elle ne détestait pas ça, les tripotages d’argent l’amusaient, ce bibelotage de marchande à la toilette chatouillait ses passions de vieille commère. Les employés de la rue Polonceau la connaissaient bien ; ils l’appelaient la mère « Quatre francs », parce qu’elle demandait toujours quatre francs, quand ils lui en offraient trois, sur ses paquets gros comme deux sous de beurre. Gervaise aurait bazardé la maison ; elle était prise de la rage du clou, elle se serait tondu la tête, si on avait voulu lui prêter sur ses cheveux. C’était trop commode, on ne pouvait pas s’empêcher d’aller chercher là de la monnaie, lorsqu’on attendait après un pain de quatre livres. Tout le saint-frusquin y passait, le linge, les habits, jusqu’aux outils et aux meubles. Dans les commencements, elle profitait des bonnes semaines, pour dégager, quitte à rengager la semaine suivante. Puis, elle se moqua de ses affaires, les laissa perdre, vendit les reconnaissances. Une seule chose lui fendit le cœur, ce fut de mettre sa pendule en plan, pour payer un billet de vingt francs à un huissier qui venait la saisir. Jusque-là, elle avait juré de mourir plutôt de faim que de toucher à sa pendule. Quand maman Coupeau l’emporta, dans une petite caisse à chapeau, elle tomba sur une chaise, les bras mous, les yeux mouillés, comme si on lui enlevait sa fortune. Mais, lorsque maman Coupeau reparut avec vingt-cinq francs, ce prêt inespéré, ces cinq francs de bénéfice la consolèrent ; elle renvoya tout de suite