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LES ROUGON-MACQUART.

avait tranquillement repris sa place près de la fenêtre, travaillant au raccommodage d’un châle de dentelle.

— Et le linge ? demanda timidement la blanchisseuse.

— Non, merci, répondit la vieille femme, il n’y a rien cette semaine.

Gervaise pâlit. On lui retirait la pratique. Alors, elle perdit complètement la tête, elle dut s’asseoir sur une chaise, parce que ses jambes s’en allaient sous elle. Et elle ne chercha pas à se défendre, elle trouva seulement cette phrase :

— Monsieur Goujet est donc malade ?

Oui, il était souffrant, il avait dû rentrer au lieu de se rendre à la forge, et il venait de s’étendre sur son lit pour se reposer. Madame Goujet causait gravement, en robe noire comme toujours, sa face blanche encadrée dans sa coiffe monacale. On avait encore baissé la journée des boulonniers ; de neuf francs, elle était tombée à sept francs, à cause des machines qui maintenant faisaient toute la besogne. Et elle expliquait qu’ils économisaient sur tout ; elle voulait de nouveau laver son linge elle-même. Naturellement, ce serait bien tombé, si les Coupeau lui avaient rendu l’argent prêté par son fils. Mais ce n’était pas elle qui leur enverrait les huissiers, puisqu’ils ne pouvaient pas payer. Depuis qu’elle parlait de la dette, Gervaise, la tête basse, semblait suivre le jeu agile de son aiguille reformant les mailles une à une.

— Pourtant, continuait la dentellière, en vous gênant un peu, vous arriveriez à vous acquitter. Car, enfin, vous mangez très bien, voire, dépensez beaucoup, j’en suis sûre… Quand vous nous donneriez seulement dix francs chaque mois…