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L’ASSOMMOIR.

La vieille femme avait manqué étouffer. Le lendemain, Goujet étant venu réclamer le linge de sa mère pendant une absence de Gervaise, maman Coupeau l’appela et le garda longtemps assis devant son lit. Elle connaissait bien l’amitié du forgeron, elle le voyait sombre et malheureux depuis quelque temps, avec le soupçon des vilaines choses qui se passaient. Et, pour bavarder, pour se venger de la dispute de la veille, elle lui apprit la vérité crûment, en pleurant, en se plaignant, comme si la mauvaise conduite de Gervaise lui faisait surtout du tort. Lorsque Goujet sortit du cabinet, il s’appuyait aux murs, suffoquant de chagrin. Puis, au retour de la blanchisseuse, maman Coupeau lui cria qu’on la demandait tout de suite chez madame Goujet, avec le linge repassé ou non ; et elle était si animée, que Gervaise flaira les cancans, devina la triste scène et le crève-cœur dont elle se trouvait menacée.

Très pâle, les membres cassés à l’avance, elle mit le linge dans un panier, elle partit. Depuis des années, elle n’avait pas rendu un sou aux Goujet. La dette montait toujours à quatre cent vingt-cinq francs. Chaque fois, elle prenait l’argent du blanchissage, en parlant de sa gêne. C’était une grande honte pour elle, parce qu’elle avait l’air de profiter de l’amitié du forgeron pour le jobarder. Coupeau, moins scrupuleux maintenant, ricanait, disait qu’il avait bien dû lui pincer la taille dans les coins, et qu’alors il était payé. Mais elle, malgré le commerce où elle était tombée avec Lantier, se révoltait, demandait à son mari s’il voulait déjà manger de ce pain-là. Il ne fallait pas mal parler de Goujet devant elle ; sa tendresse pour le forgeron lui restait comme un coin de son honneur. Aussi, toutes les fois qu’elle reportait le