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L’ASSOMMOIR.

due vers le cabinet où couchaient Nana et maman Coupeau. La petite et la vieille devaient dormir, on entendait une respiration forte.

— Auguste, laisse-moi, tu vas les réveiller, reprit-elle, les mains jointes. Sois raisonnable. Un autre jour, ailleurs… Pas ici, pas devant ma fille…

Il ne parlait plus, il restait souriant ; et, lentement, il la baisa sur l’oreille, ainsi qu’il la baisait autrefois pour la taquiner, et l’étourdir. Alors, elle fut sans force, elle sentit un grand bourdonnement, un grand frisson descendre dans sa chair. Pourtant, elle fit de nouveau un pas. Et elle dut reculer. Ce n’était pas possible, la dégoûtation était si grande, l’odeur devenait telle, qu’elle se serait elle-même mal conduite dans ses draps. Coupeau, comme sur de la plume, assommé par l’ivresse, cuvait sa bordée, les membres morts, la gueule de travers. Toute la rue aurait bien pu entrer embrasser sa femme, sans qu’un poil de son corps en remuât.

— Tant pis, bégayait-elle, c’est sa faute, je ne puis pas… Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! il me renvoie de mon lit, je n’ai plus de lit… Non, je ne puis pas, c’est sa faute.

Elle tremblait, elle perdait la tête. Et, pendant que Lantier la poussait dans sa chambre, le visage de Nana apparut à la porte vitrée du cabinet, derrière un carreau. La petite venait de se réveiller et de se lever doucement, en chemise, pâle de sommeil. Elle regarda son père roulé dans son vomissement ; puis, la figure collée contre la vitre, elle resta là, à attendre que le jupon de sa mère eût disparu chez l’autre homme, en face. Elle était toute grave. Elle avait de grands yeux d’enfant vicieuse, allumés d’une curiosité sensuelle.