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LES ROUGON-MACQUART.

par les maisons flottaient encore, s’emplissait du sourd piétinement des ouvriers descendant vers Paris. Coupeau, son sac de zingueur passé à l’épaule, marchait de l’air esbrouffeur d’un citoyen qui est d’attaque, une fois par hasard. Il se tourna, il demanda :

— Bibi, veux-tu qu’on t’embauche ? le patron m’a dit d’amener un camarade, si je pouvais.

— Merci, répondit Bibi-la-Grillade, je me purge… Faut proposer ça à Mes-Bottes, qui cherchait hier une baraque… Attends, Mes-Bottes est bien sûr là dedans.

Et, comme ils arrivaient au bas de la rue, ils aperçurent en effet Mes-Bottes chez le père Colombe. Malgré l’heure matinale, l’Assommoir flambait, les volets enlevés, le gaz allumé. Lantier resta sur la porte, en recommandant à Coupeau de se dépêcher, parce qu’ils avaient tout juste dix minutes.

— Comment ! tu vas chez ce roussin de Bourguignon ! cria Mes-Bottes, quand le zingueur lui eut parlé. Plus souvent qu’on me pince dans cette boîte ! Non, j’aimerais mieux tirer la langue jusqu’à l’année prochaine… Mais, mon vieux, tu ne resteras pas là trois jours, c’est moi qui te le dis !

— Vrai, une sale boîte ? demanda Coupeau inquiet.

— Oh ! tout ce qu’il y a de plus sale… On ne peut pas bouger. Le singe est sans cesse sur votre dos. Et avec ça des manières, une bourgeoise qui vous traite de soûlard, une boutique où il est défendu de cracher… Je les ai envoyés dinguer le premier soir, tu comprends.

— Bon ! me voilà prévenu. Je ne mangerai pas chez eux un boisseau de sel… J’en vais tâter ce matin ; mais si le patron m’embête, je te le ramasse et je te l’assois sur sa bourgeoise, tu sais, collés comme une paire de soles !