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L’ASSOMMOIR.

sans demander autre chose ; et il ne parla plus de leur amour. Elle se secouait, elle ne se fâchait pas, comprenant que tous deux avaient bien gagné ce petit plaisir.

Le forgeron, cependant, secoué de la tête aux pieds par un grand frisson, s’écartait d’elle, pour ne pas céder à l’envie de la reprendre ; et il se traînait sur les genoux, ne sachant à quoi occuper ses mains, cueillant des fleurs de pissenlits, qu’il jetait de loin dans son panier. Il y avait là, au milieu de la nappe d’herbe brûlée, des pissenlits jaunes superbes. Peu à peu, ce jeu le calma, l’amusa. De ses doigts raidis par le travail du marteau, il cassait délicatement les fleurs, les lançait une à une, et ses yeux de bon chien riaient, lorsqu’il ne manquait pas la corbeille. La blanchisseuse s’était adossée à l’arbre mort, gaie et reposée, haussant la voix pour se faire entendre, dans l’haleine forte de la scierie mécanique. Quand ils quittèrent le terrain vague, côte à côte, en causant d’Étienne, qui se plaisait beaucoup à Lille, elle emporta son panier plein de fleurs de pissenlits.

Au fond, Gervaise ne se sentait pas devant Lantier si courageuse qu’elle le disait. Certes, elle était bien résolue à ne pas lui permettre de la toucher seulement du bout des doigts ; mais elle avait peur, s’il la touchait jamais, de sa lâcheté ancienne, de cette mollesse et de cette complaisance auxquelles elle se laissait aller, pour faire plaisir au monde. Lantier, pourtant, ne recommença pas sa tentative. Il se trouva plusieurs fois seul avec elle et se tint tranquille. Il semblait maintenant occupé de la tripière, une femme de quarante-cinq ans, très bien conservée. Gervaise, devant Goujet, parlait de la tripière, afin de le rassurer. Elle répondait à Virginie et à madame Lerat, quand celles-