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L’ASSOMMOIR.

pleine de franchise, qu’il lui prit la main et la fit rasseoir. Maintenant, il respirait à l’aise, il riait en dedans. C’était la première fois qu’il lui tenait la main et qu’il la serrait dans la sienne. Tous deux restèrent muets. Au ciel, le vol de nuages blancs nageait avec une lenteur de cygne. Dans le coin du champ, la chèvre, tournée vers eux, les regardait en poussant à de longs intervalles réguliers un bêlement très doux. Et, sans se lâcher les doigts, les yeux noyés d’attendrissement, ils se perdaient au loin, sur la pente de Montmartre blafard, au milieu de la haute futaie des cheminées d’usine rayant l’horizon, dans cette banlieue plâtreuse et désolée, où les bosquets verts des cabarets borgnes les touchaient jusqu’aux larmes.

— Votre mère m’en veut, je le sais, reprit Gervaise à voix basse. Ne dites pas non… Nous vous devons tant d’argent !

Mais lui, se montra brutal, pour la faire taire. Il lui secoua la main, à la briser. Il ne voulait pas qu’elle parlât de l’argent. Puis, il hésita, il bégaya enfin :

— Écoutez, il y a longtemps que je songe à vous proposer une chose… Vous n’êtes pas heureuse. Ma mère assure que la vie tourne mal pour vous…

Il s’arrêta, un peu étouffé.

— Eh bien ! il faut nous en aller ensemble.

Elle le regarda, ne comprenant pas nettement d’abord, surprise par cette rude déclaration d’un amour dont il n’avait jamais ouvert les lèvres.

— Comment ça ? demanda-t-elle.

— Oui, continua-t-il la tête basse, nous nous en irions, nous vivrions quelque part, en Belgique si vous voulez… C’est presque mon pays… En travaillant tous les deux, nous serions vite à notre aise.

Alors, elle devint très rouge. Il l’aurait prise contre