Page:Zola - L'Assommoir.djvu/320

Cette page a été validée par deux contributeurs.
320
LES ROUGON-MACQUART.

Cependant, Gervaise vivait tranquille de ce côté, ne pensait guère à ces ordures. Les choses en vinrent au point qu’on l’accusa de manquer de cœur. Dans la famille on ne comprenait pas sa rancune contre le chapelier. Madame Lerat, qui adorait se fourrer entre les amoureux, venait tous les soirs ; et elle traitait Lantier d’homme irrésistible, dans les bras duquel les dames les plus huppées devaient tomber. Madame Boche n’aurait pas répondu de sa vertu, si elle avait eu dix ans de moins. Une conspiration sourde, continue, grandissait, poussait lentement Gervaise, comme si toutes les femmes, autour d’elle, avaient dû se satisfaire, en lui donnant un amant. Mais Gervaise s’étonnait, ne découvrait pas chez Lantier tant de séductions. Sans doute, il était changé à son avantage : il portait toujours un paletot, il avait pris de l’éducation dans les cafés et dans les réunions politiques. Seulement, elle qui le connaissait bien, lui voyait jusqu’à l’âme par les deux trous de ses yeux, et retrouvait là un tas de choses, dont elle gardait un léger frisson. Enfin, si ça plaisait tant aux autres, pourquoi les autres ne se risquaient-elles pas à tâter du monsieur ? Ce fut ce qu’elle laissa entendre un jour à Virginie, qui se montrait la plus chaude. Alors, madame Lerat et Virginie, pour lui monter la tête, lui racontèrent les amours de Lantier et de la grande Clémence. Oui, elle ne s’était aperçue de rien ; mais, dès qu’elle sortait pour une course, le chapelier emmenait l’ouvrière dans sa chambre. Maintenant on les rencontrait ensemble, il devait l’aller voir chez elle.

— Eh bien ? dit la blanchisseuse, la voix un peu tremblante, qu’est-ce que ça peut me faire ?

Et elle regardait les yeux jaunes de Virginie, où des