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L’ASSOMMOIR.

Coupeau et Lantier se faisaient des joues. Les gaillards, attablés jusqu’au menton, bouffaient la boutique, s’engraissaient de la ruine de l’établissement ; et ils s’excitaient l’un l’autre à mettre les morceaux doubles, et ils se tapaient sur le ventre en rigolant, au dessert, histoire de digérer plus vite.

Dans le quartier, le grand sujet de conversation était de savoir si réellement Lantier s’était remis avec Gervaise. Là-dessus, les avis se partageaient. À entendre les Lorilleux, la Banban faisait tout pour repincer le chapelier, mais lui ne voulait plus d’elle, la trouvait trop décatie, avait en ville des petites filles d’une frimousse autrement torchée. Selon les Boche, au contraire, la blanchisseuse, dès la première nuit, s’en était allée retrouver son ancien époux, aussitôt que ce jeanjean de Coupeau avait ronflé. Tout ça, d’une façon comme d’une autre, ne semblait guère propre ; mais il y a tant de saletés dans la vie, et de plus grosses, que les gens finissaient par trouver ce ménage à trois naturel, gentil même, car on ne s’y battait jamais et les convenances étaient gardées. Certainement, si l’on avait mis le nez dans d’autres intérieurs du quartier, on se serait empoisonné davantage. Au moins, chez les Coupeau, ça sentait les bons enfants. Tous les trois se livraient à leur petite cuisine, se culottaient et couchotaient ensemble à la papa, sans empêcher les voisins de dormir. Puis, le quartier restait conquis par les bonnes manières de Lantier. Cet enjôleur fermait le bec à toutes les bavardes. Même, dans le doute où l’on se trouvait de ses rapports avec Gervaise, quand la fruitière niait les rapports devant la tripière, celle-ci semblait dire que c’était vraiment dommage, parce qu’enfin ça rendait les Coupeau moins intéressants.