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L’ASSOMMOIR.

rien, traitait ça de blague. Ce que chacun déclarait peu propre, c’était la conduite de Clémence, une fille à ne pas inviter, décidément ; elle avait fini par montrer tout ce qu’elle possédait, et s’était trouvée prise de mal de cœur, au point d’abîmer entièrement un des rideaux de mousseline. Les hommes, au moins, sortaient dans la rue ; Lorilleux et Poisson, l’estomac dérangé, avaient filé raide jusqu’à la boutique du charcutier. Quand on a été bien élevé, ça se voit toujours. Ainsi, ces dames, madame Putois, madame Lerat et Virginie, incommodées par la chaleur, étaient simplement allées dans la pièce du fond ôter leur corset ; même Virginie avait voulu s’étendre sur le lit, l’affaire d’un instant, pour empêcher les mauvaises suites. Puis, la société semblait avoir fondu, les uns s’effaçant derrière les autres, tous s’accompagnant, se noyant au fond du quartier noir, dans un dernier vacarme, une dispute enragée des Lorilleux, un « trou la la, trou la la », entêté et lugubre du père Bru. Gervaise croyait bien que Goujet s’était mis à sangloter en partant ; Coupeau chantait toujours ; quant à Lantier, il avait dû rester jusqu’à la fin, elle sentait même encore un souffle dans ses cheveux, à un moment, mais elle ne pouvait pas dire si ce souffle venait de Lantier ou de la nuit chaude.

Cependant, comme madame Lerat refusait de retourner aux Batignolles à cette heure, on enleva du lit un matelas qu’on étendit pour elle dans un coin de la boutique, après avoir poussé la table. Elle dormit là, au milieu des miettes du dîner. Et, toute la nuit, dans le sommeil écrasé des Coupeau, cuvant la fête, le chat d’une voisine qui avait profité d’une fenêtre ouverte, croqua les os de l’oie, acheva d’enterrer la bête, avec le petit bruit de ses dents fines.