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LES ROUGON-MACQUART.

s’engueulaient, le zingueur surtout habillait l’autre proprement, le traitait de cochon malade, parlait de lui manger les tripes. On entendait le bruit enragé des voix, on distinguait des gestes furieux, comme s’ils allaient se dévisser les bras, à force de claques. Gervaise défaillait, fermait les yeux, parce que ça durait trop longtemps et qu’elle les croyait toujours sur le point de s’avaler le nez, tant ils se rapprochaient, la figure dans la figure. Puis, comme elle n’entendait plus rien, elle rouvrit les yeux, elle resta toute bête, en les voyant causer tranquillement.

La voix de madame Lerat s’élevait, roucoulante et pleurarde, commençant un couplet :

Le lendemain, à demi morte,
On recueillit la pauvre enfant…

— Y a-t-il des femmes qui sont garces, tout de même ! dit madame Lorilleux, au milieu de l’approbation générale.

Gervaise avait échangé un regard avec madame Boche et Virginie. Ça s’arrangeait donc ? Coupeau et Lantier continuaient de causer au bord du trottoir. Ils s’adressaient encore des injures, mais amicalement. Ils s’appelaient « sacré animal », d’un ton où perçait une pointe de tendresse. Comme on les regardait, ils finirent par se promener doucement côte à côte, le long des maisons, tournant sur eux-mêmes tous les dix pas. Une conversation très-vive s’était engagée. Brusquement, Coupeau parut se fâcher de nouveau, tandis que l’autre refusait, se faisait prier. Et ce fut le zingueur qui poussa Lantier et le força à traverser la rue, pour entrer dans la boutique.

— Je vous dis que c’est de bon cœur ! criait-il. Vous