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LES ROUGON-MACQUART.

Et la société se tourna vers le vieux, insistant, l’encourageant. Lui, engourdi, avec son masque immobile de peau tannée, regardait le monde, sans paraître comprendre. On lui demanda s’il connaissait les Cinq voyelles. Il baissa le menton ; il ne se rappelait plus ; toutes les chansons du bon temps se mêlaient dans sa caboche. Comme on se décidait à le laisser tranquille, il parut se souvenir, et bégaya d’une voix caverneuse :

Trou la la, trou la la,
Trou la, trou la, trou la la !

Sa face s’animait, ce refrain devait éveiller en lui de lointaines gaietés, qu’il goûtait seul, écoutant sa voix de plus en plus sourde, avec un ravissement d’enfant.

Trou la la, trou la la,
Trou la, trou la, trou la la !

— Dites donc, ma chère, vint murmurer Virginie à l’oreille de Gervaise, vous savez que j’en arrive encore. Ça me taquinait… Eh bien ! Lantier a filé de chez François.

— Vous ne l’avez pas rencontré dehors ? demanda la blanchisseuse.

— Non, j’ai marché vite, je n’ai pas eu l’idée de voir.

Mais Virginie, qui levait les yeux, s’interrompit et poussa un soupir étouffé.

— Ah ! mon Dieu !… Il est là, sur le trottoir d’en face ; il regarde ici.

Gervaise, toute saisie, hasarda un coup d’œil. Du monde s’était amassé dans la rue, pour entendre la société chanter. Les garçons épiciers, la tripière, le petit horloger faisaient un groupe, semblaient être