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L’ASSOMMOIR.

— On a bien du tourment avec les enfants, allez ! Ainsi, moi, j’ai l’air d’être heureuse ici, n’est-ce pas ? eh bien ! je pleure plus d’une fois… Non, ne souhaitez pas d’avoir des enfants.

Le père Bru hochait la tête.

— On ne veut plus de moi nulle part pour travailler, murmura-t-il. Je suis trop vieux. Quand j’entre dans un atelier, les jeunes rigolent et me demandent si c’est moi qui ai verni les bottes d’Henri IV… L’année dernière, j’ai encore gagné trente sous par jour à peindre un pont ; il fallait rester sur le dos, avec la rivière qui coulait en bas. Je tousse depuis ce temps… Aujourd’hui, c’est fini, on m’a mis à la porte de partout.

Il regarda ses pauvres mains raidies et ajouta :

— Ça se comprend, puisque je ne suis bon à rien. Ils ont raison, je ferais comme eux… Voyez-vous, le malheur, c’est que je ne sois pas mort. Oui, c’est ma faute. On doit se coucher et crever, quand on ne peut plus travailler.

— Vraiment, dit Lorilleux qui écoutait, je ne comprends pas comment le gouvernement ne vient pas au secours des invalides du travail… Je lisais ça l’autre jour dans un journal.

Mais Poisson crut devoir défendre le gouvernement.

— Les ouvriers ne sont pas des soldats, déclara-t-il. Les Invalides sont pour les soldats… Il ne faut pas demander des choses impossibles.

Le dessert était servi. Au milieu, il y avait un gâteau de Savoie, en forme de temple, avec un dôme à côtes de melon ; et, sur le dôme, se trouvait plantée une rose artificielle, près de laquelle se balançait un papillon en papier d’argent, au bout d’un fil de fer.